1996, en compagnie d’un ami j’assistais à une nuit spéciale au Max
Linder durant laquelle était diffusé en avant-première Bernie d’Albert
Dupontel. Les 2 autres films projetés étaient The Doom Generation de
Gregg Araki et Swimming with Sharks de George Huang. Je ne me souviens
plus s’il y avait un quatrième film, mais déjà ces trois-là nous avaient pas
mal occupés l’esprit et chamboulés le cerveau.
A des degrés divers
cependant...
En début de soirée, Bernie et son humour féroce nous avait maintenu pleinement éveillés, puis Doom Generation nous avait permis de digérer tout en somnolant poliment pendant une bonne partie du film jusqu’à son final, surprenant, qui nous fit revenir à nous pour pouvoir apprécier Swimming with sharks . La véritable découverte de cette soirée et la douche froide nécessaire pour nous faire tenir jusqu’à l’aube sans problème.
Contrairement à Gregg Araki dont j'avais connaissance
des antécédents, ou Dupontel, dont j’appréciais déjà les sketchs et l’humour
déjanté, je ne connaissais absolument rien de ce George Huang et de son
film. Seule tête d'affiche Kevin Spacey qui sortait un an auparavant du choc Seven
et dans lequel il abordait déjà le rôle du sadique de service. Mais dans un
autre style, plus machiavélique et bien plus cauchemardesque.
Dans le cas de Swimming with Sharks, il interprète
également une belle enflure (Buddy Ackerman), mais plus proche de nous
cette fois, moins fantasmée. De celle que l'on peut côtoyer dans son
environnement quotidien ou professionnel. Bien que l’action se situe au sein de
l'industrie cinématographique (US), nous pourrions facilement plaquer les
rapports dominant/dominé des personnages principaux dans n'importe quel autre
milieu. On a tous connu, de près ou de loin, un petit dictateur en chef à qui
l’on aurait aimé rendre la monnaie de sa pièce, et ce de la façon la plus
cruelle qui soit. Mais, en grande majorité, nous avons fort heureusement raison
gardée et taisons ces vilaines pensées.
Ce qui n’est absolument pas le cas du jeune Guy, misérable héros impeccablement interprété par Frank Walley (vu également dans Pulp Fiction) , assistant d’un exécutif d’un grand studio, mais avant tout scénariste dans l’âme. Il est prêt à tout pour y parvenir, et accepte de se laisser malmener pour parvenir à ses fins, car c’est ainsi que les choses se font dans ce milieu. Il finira pourtant par craquer, ne parvenant plus supporter les humiliations et les trahisons quotidiennes de son supérieur.
Ce qui n’est absolument pas le cas du jeune Guy, misérable héros impeccablement interprété par Frank Walley (vu également dans Pulp Fiction) , assistant d’un exécutif d’un grand studio, mais avant tout scénariste dans l’âme. Il est prêt à tout pour y parvenir, et accepte de se laisser malmener pour parvenir à ses fins, car c’est ainsi que les choses se font dans ce milieu. Il finira pourtant par craquer, ne parvenant plus supporter les humiliations et les trahisons quotidiennes de son supérieur.
Sharks, les requins, au pluriel. Ce qui trouble
dans ce film c’est l’ambivalence créée au fur et à mesure de l’évolution de
l’histoire. Nous passons d’une empathie véritable pour Guy et un rejet total de
Buddy Ackerman, pour lentement glisser vers une certaine affection vis à vis de
celui-ci, tout en remettant en cause les pleurnicheries de Guy. Très malin tout
cela. Haïr Buddy Ackerman est normal, il fait tout pour cela, si bien que nous
nous positionnons tout à fait naturellement du côté du jeune stagiaire. Mais
petit à petit la donne s’inverse, sans pour autant renverser la vapeur. C’est
notre empathie qui baisse peu à peu en intensité car nous ne pouvons,
décemment, rester du côté de Guy tant il se plaint et geint tout en supportant
dans le même temps le courroux et les brimades de son supérieur. Mais rien
n’est noir et blanc, tout est nuances. Autant notre envie est forte que quelque
chose advienne en retour à Buddy Ackerman, ce qui finira par être le cas,
autant notre envie de secouer Guy vient assez rapidement tant il se révèle
faiblard et geignard, puis détestable dans ses actes et sa contrition
constante. Son “c’est pas de ma faute” ainsi que son “tout m’y pousse” qui le
dédouanent constamment.
Ainsi, se focaliser sur le seul personnage de Kevin
Spacey, et le définir uniquement comme le salaud de service, serait une erreur.
Le jeune Guy ne peut être absout de ses propres excès, que l'on justifierait un
peu trop rapidement par ses maltraitances répétées. Rien ne justifie les
attitudes extrêmes d'Ackerman à son encontre, certes, mais rien ne justifie non
plus que Guy transgresse à ce point sa propre conception de la morale
uniquement pour se venger et “faire payer”. Notre empathie finalement a ses limites.
Car à partir du moment où il pense agir par lui-même dans le "bon"
sens, pour enfin s'affirmer et rendre la monnaie de sa pièce à son supérieur,
il se fourvoie et devient celui qu’il déteste le plus au monde. Pire encore,
pris dans un engrenage machiavélique, il dépasse les espérances de Buddy
Ackerman, qui n’aurait jamais osé aller aussi loin...
Ce qui est vraiment très malin de la part de George
Huang, et très déprimant dans le même temps. Mais c’est ce qui rend ce film si
fascinant. Ce retournement constant de notre part et ces sentiments mitigés
puis ambivalents que nous ressentons. Il est rare de voir un film nous faire
passer de l’un à l’autre aussi aisément, sans avoir un rôle directeur qui nous
permet de nous raccrocher et faciliter notre projection de spectateur.
Swimming with sharks est finalement plus proche du
drame que de la comédie. Quand bien même on est amené à sourire plus d’une fois
devant les excès de Buddy Ackerman et les réactions de Guy. Ces moments de
détentes sont d’ailleurs bienvenus tant la tension qui s’instaure devient
terrible, jusqu’au dénouement, chef d'oeuvre de cynisme. C’est un petit bijou
de noirceur, produit pour des clopinettes, tourné en à peine 17 jours et qui
valut finalement une forme de bannissement pour George Huang qui, à l’issue n’a
plus tourné grand-chose de très intéressant. On n’attaque pas à ce point le
monde dans lequel on espère faire son trou. Hollywood ne lui a pas pardonné. Le
commentaire du DVD est à ce propos très éloquent et formidablement instructif.
Il évacue d’entrée de jeu le film pour se focaliser sur ses à-côtés. Et c’est
passionnant.
Un film à voir impérativement en V.O. ("shut up! Listen! and learn!" ; "You have no brain")
Un film à voir impérativement en V.O. ("shut up! Listen! and learn!" ; "You have no brain")
En parlant du DVD j'aimerais bien que la personne à
qui je l'ai prêté me le rende...
Ps : La musique de Tom Hiel, formidable, a été
composée très rapidement et là aussi pour pas grand-chose, le budget ayant été
largement englouti. Quelques notes de piano qui vont crescendo et qui
illustrent parfaitement la tension qui s’instaure entre les deux hommes : Thème
Ps2 : On retrouve ce même
processus dans un film tout aussi fascinant : En compagnie des Hommes de Neil
La Butte. Là aussi une formidable illustration de la cruauté comme
justification de sa position au sein de l’entreprise. Un film plus désespérant
cependant, mais tout aussi passionnant. Difficile à trouver en DVD.
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